La Cie

Philippe Durand bio :

« Comme tout bon provincial qui ne connaît rien au milieu, j’ai commencé ma formation a Paris au cours Florent, dans les annees 90, puis aux ateliers du Sapajou a Montreuil. J’ai travaillé pendant une dizaine d’années pour la télé (des premiers rôles, des seconds rôles, beaucoup de jeunes flics), et un peu pour le cinéma (mon fait d’armes: une scène de 1’30 avec Matt Damon dans La mémoire dans la peau 😉 Parallèlement, je connais ma première expérience théâtrale profesionnelle à l’occasion de la dernière tournée Herbert-Karsenty, le tourneur historique de Au théâtre ce soir!

Au début des années 2000, je commence à travailler pour le théâtre public. Je rencontre Philippe Minyana, Noëlle Renaude, Michel Vinaver (et les Renversants, compagnie éphémère et éternelle, pour deux spectacles mis en scène par lui). Et je rejoins Arnaud Meunier dans sa compagnie La Mauvaise Graine. Îl sera mon compagnon théâtral pendant 20 ans.
On se retrouve autour de Pasolini. Je joue dans son superbe Pylade en 2002. Quelques années après, il met en scène Victoire, un solo poétique, extrait de Poésie en forme de rose.
Je le suis dans ses années de compagnie, et après sa nomination à la direction de la Comédie de Saint-Etienne, pour nombre d’aventures collectives et artistiques, jusqu’à Candide créé en 2020.
Dans le même temps, je vis d’autres aventures théâtrales, avec Philip Boulay, Matthieu Cruciani, François Bégaudeau. »

Ce qui deviendra la Cie 13.36

La Compagnie Treize-Trente-Six a été créée officiellement en décembre 2021 pour la création de Larzac! mais l’aventure commence neuf ans plus tôt.

En 2012, je saisis une carte blanche qu’Arnaud Meunier propose au tout nouvel ensemble artistique de la Comédie de Saint-Etienne, à l’occasion de la Fête du Livre. Le thème de la manifestation est Mémoire d’une ville. Je propose de rencontrer des Stéphanois.e.s, et d’enregistrer le son des interviews, pensant écrire à partir de ces entretiens.
A l’écoute de ces paroles, elles m’apparaissent telles quelles comme un trésor populaire. Telles quelles, elles me séduisent, me touchent. Je perçois leurs accidents comme poétiques, je suis charmé par leurs chants, les éclats de vie qu’elles portent. Je décide de conserver ces paroles, brutes, et j’en fais une petite forme théâtrale Paroles de Stéphanois, qui sera reprise en tournée autour de Saint-Etienne en 2014.

Dans la suite de son projet à la Comédie de Saint-Etienne, Arnaud Meunier nous invite à travailler autour de l’essai de Pierre Rosanvallon Le parlement des invisibles. Le sociologue y décrit un contexte de crise de la représentation, de crise de la compréhension de la société, et parle d’un besoin de voir les vies ordinaires racontées, les voix de faible ampleur écoutées; il s’agit dans cet essai de se réapproprier son existence, de revaloriser nos vies, sortir de l’isolement. L’essai me séduit, et j’y vois l’occasion de reprendre la forme expérimentée avec Paroles de Stéphanois.
A l’été 2014, je lance le projet sur les Fralibs (un (un exemple de réappropriation). Avec mon enregistreur, je vais à la rencontre des ouvrières et ouvriers dont j’ai suivi le com- bat dans les journaux, au fil des ans, avec admiration.
Je retrouve, avec la même intensité, mon amour pour cette langue et ses paroles brutes, cette fois-ci au service du récit d’une aventure sociale exceptionnelle.
La petite forme singulière singulière que je construis me semble complète. Et j’assume d’être seul, assis derrière ma table, à porter la parole du collectif, fort de la puissance évocatrice de ces paroles : un texte, un acteur, de l’imaginaire.
La frugalité de la proposition permet d’aller à l’essentiel.
Les échanges avec le public qui suivent les représentations sont riches de partages joyeux, parfois douloureux, mais emplis d’espoir et de solidarité.
Du monde ouvrier, je reçois beaucoup de remerciements pour porter ainsi leur parole, et dans les milieux plus bourgeois, les mêmes remerciements pour leur rendre accessible un univers qu’ils ne connaissent pas, ou si mal. J’ai l’impression de participer pleinement au projet du Parlement des invisibles.

1336, c’est le nombre de jours de lutte pendant lesquels ouvrières et ouvriers se sont battu.e.s contre la multinationale Unilever, pour conserver leur usine et leur travail. C’est aussi le nom de la nouvelle marque de thé et infusions, produite désormais par la Scop-TI, la coopérative créée au terme de leur lutte. L’existence de la Cie doit beaucoup à cette aventure sociale exceptionnelle. 13 et 36 étant devenus pour nous les nombres du Possible, nous avons demandé aux ouvrières et ouvriers si nous pouvions utiliser leurs nombres fétiches: la Cie 13.36 est née.

Ces nombres nous accompagnent désormais pour conter d’autres aventures émancipatrices, porter la parole de celles et ceux qu’on n’entend pas, ou si peu.

La pièce sur les Fralibs me permet de rencontrer Christian Rouaud, le réalisateur de Les Lip: l’imagination au pouvoir et de Tous au Larzac. Grâce à lui je découvre l’existence de la SCTL, outil de gestion collective des terres agricoles du Larzac.. En octobre 2020, je reprends mon enregistreur à la rencontre des Larzacien.n.e.s, et à la découverte du monde paysan.

L’aventure du Larzac a aussi été une lutte de réappropriation, celle de la terre comme outil de travail. Comme les Fralibs, iels ont été longtemps dans l’illégalité, pour créer ensuite, en toute légalité, cet outil de gestion unique. Celui-ci fonctionne depuis quarante ans, et permet un accès au foncier pour les paysan.ne.s, libéré-e-s des contraintes de la spéculation. Comme les Fralibs, c’est une forme d’émancipation collective. Faire fonctionner une telle structure de 6300 hectares, collectivement, semblait une utopie. C’est aujourd’hui une aventure sociale pérenne, une pleine réussite, elle devrait faire modèle, mais ne fait pas grand bruit.

Dans Larzac! les mêmes ingrédients se conjuguent: une langue foisonnant d’humanités et de pensées qui raconte une expérience démocratique et sociale unique en Europe, dans la même économie de moyens.

Avec ce projet, je comprends mieux ce qui m’amène à réaliser ces projets:

« La parole de l’homme politique d’aujourd’hui semble désespérément vider les mots de leur sens, les malaxer pour en faire pâte molle et indigeste. Elle est comme verrouillée, elle s’emploie sans cesse à réduire le champ des possibles, il ne faut pas attirer la colère des marchés… Ces paroles brutes, celles des Fralibs comme celles des Larzaciens, dans le fond comme dans la forme, sont des bulles d’espoir. Elles ne respectent pas les codes, s’autorisent toute licence, défient le raisonnable, tout en se montrant parfaitement responsables ! Quand quelqu’un s’écarte de la liturgie des marchés, il est systématiquement qualifié d’irresponsable. Le verrouillage est bien huilé. Mon intérêt pour l’action et la parole de l’homme politique s’est peu à peu déplacé vers celles d’hommes et de femmes qui refusent la fatalité, qui sont prêts à se mettre pour un temps dans l’illégalité et prendre en main leurs destins. Chez eux, la parole est acte, elle renoue avec le sens. »
Extrait du dossier de production – juin 2022

Quand je choisis les paroles, je choisis d’abord une langue, je le redis: c’est l’ossature de mon travail, celle qui me remplit d’une joie poétique et vivante. Mais je choisis aussi celles qui ont une portée universelle, elles me semblent parler à tout le monde. Je l’expérimente régulièrement. Je ressens fort comment toutes et tous, nous avons besoin, dans ce monde souvent hostile, de nous rappeler que: Autre chose est possible !

Le troisième projet de la Cie sera un peu différent, il est en cours de préparation : Le kakistocrate est est une pièce de Dalie Farah, une autrice Clermontoise avec qui je partage mes aventures théâtrales depuis plusieurs années. Elle conte une émancipation plus secrète, dans le monde de l’entreprise cette fois-ci, invite également à aller vers le collectif. La pièce a aussi été écrite à partir d’un recueil de paroles. La matière est réelle, mais elle a abouti à une fiction. Les mots dans l’entreprise sont ceux du management, du développement personnel. Selon Le kakistocrate, ces mots nous dévitalisent. Son dessein est de retourner les injonctions du management pour redonner vie à nos corps, il cherche à vivre juste. On travaille à le faire entendre d’ici 2027.

L’objet commun à toutes les créations de la Cie 13.36 semble donc être celui révélé et rêvé dans l’essai de Rosanvallon : se ré-approprier son existence.

Philippe Durand
Juin 2025

Les membres du bureau de la Cie 13.36 :
Sylwia Wisz, Présidente
Naïma Aboubeker, Trésorière
Céline Ena, Secrétaire